Christiane Ayotte, figure de proue de la lutte antidopage, annonce sa retraite

MONTRÉAL — Si des athlètes de pointe tels que Ben Johnson et Lance Armstrong ont été épinglés pour dopage sportif au fil des dernières décennies, c’est un peu grâce à elle. La chimiste québécoise Christiane Ayotte, une figure de proue de la lutte antidopage, a annoncé officiellement sa retraite vendredi.

Véritable pionnière en la matière, Ayotte était à la tête du laboratoire de contrôle du dopage de l’Institut national de la recherche (INRS – Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie) depuis 1991.

Après 35 ans, Ayotte a donc décidé de tourner la page sur une carrière exceptionnelle. Une décision bien mûrie qui aurait pu être prise plus tôt, n’eut été la pandémie de coronavirus.

«Je suis à la retraite depuis le 1er mai, mais je suis encore en train de transférer mes dossiers à mes collègues, a d’abord expliqué la travailleuse infatigable en entretien téléphonique avec La Presse Canadienne plus tôt cette semaine. Je l’aurais prise plus tôt, surtout que je sais le laboratoire entre bonnes mains.»

Le directeur général de l’INRS, Luc-Alain Giraldeau, a d’ailleurs tenu à souligner l’immense contribution d’Ayotte à cette sphère d’activités.

«Avec son expertise de pointe, sa détermination et son intégrité, Christiane Ayotte a créé ce qui est devenu un modèle pour l’ensemble des laboratoires antidopage dans le monde. Ses réalisations et sa carrière remarquable sont une source de fierté immense pour notre établissement universitaire et sa communauté», a déclaré Giraldeau par voie de communiqué.

Le professeur Jean-François Naud, proche collaborateur de la chercheuse, lui succédera à la tête de cette infrastructure de pointe dans la lutte au dopage sportif. Il était directeur adjoint du laboratoire depuis les Jeux olympiques de Vancouver, en 2010.

Aujourd’hui, le laboratoire de contrôle de dopage de l’INRS est le seul laboratoire au Canada accrédité par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Durant les dernières années, jusqu’à 35 000 échantillons y ont été traités afin de détecter l’utilisation de substances interdites, notamment pour le programme canadien de lutte au dopage en partenariat avec le Centre canadien pour l’éthique dans les sports.

Tout ça n’aurait toutefois pu se concrétiser sans la contribution d’Ayotte, qui s’est notamment fait remarquer pour ses travaux pendant les années 1980, dont ceux sur la détection des stéroïdes par la spectrométrie de masse. Une technique qui est d’ailleurs encore utilisée de nos jours afin d’épingler des athlètes qui tentent d’obtenir un avantage compétitif en consommant des substances interdites.

«Tout était à faire, il n’y avait pratiquement rien dans la littérature scientifique, et j’ai eu beaucoup de plaisir à développer cela», a-t-elle souligné, en référence à ses travaux qui ont façonné la lutte antidopage moderne.

Depuis un mois, donc, Ayotte a pris le temps de réfléchir à l’ampleur du chemin parcouru depuis les premiers balbutiements de la lutte antidopage, et de sa contribution à la cause.

«J’ai pu participer à tout ça: l’arrivée de techniques, de l’informatique, avec la puissance de tout ce qu’on a maintenant. J’ai été aux premières loges de l’évolution (de la lutte antidopage), et maintenant on peut détecter des quantités minuscules d’agents dopants, ce qui n’était évidemment pas le cas dans les années 1980 et même 1990. J’ai vraiment été privilégiée d’assister à tout ça», a admis celle qui a reçu le prestigieux prix René Dussault pour l’ensemble de sa carrière, la semaine dernière.

Elle se considère également privilégiée d’avoir pu contribuer à l’arrivée de l’AMA à Montréal en 2001, «ce qui a vraiment aidé à synchroniser, et à harmoniser la lutte au dopage».

Le reste fait partie de l’histoire: l’expertise des chercheurs montréalais en matière de tests antidopage est reconnue dans le monde depuis plusieurs décennies déjà.

Voir le verre à moitié plein

Il reste que malgré tous les efforts déployés par Ayotte et ses collègues scientifiques, les tricheurs ont toujours une longueur d’avance sur ceux qui tentent de les coincer.

Questionnée à savoir s’il s’agissait d’une question de principe pour elle, et si un certain fardeau moral accompagnait la tâche de constamment être aux trousses des tricheurs sans jamais véritablement les épingler, Ayotte a déclaré qu’elle n’a jamais baissé les bras. Même si, a-t-elle admis, il y a des jours où le désespoir l’a envahie.

«L’amélioration de la synchronisation des tests antidopage et des techniques font que j’ai l’impression, somme toute, qu’on a réussi à réduire les dangers potentiels à la santé et l’intégrité des athlètes. On ne peut plus se doper comme on le faisait dans les années 80, 90 et même au début 2000, notamment au niveau du dopage sanguin. (…) J’ai donc la satisfaction de me dire que le verre n’est pas à moitié vide, mais plutôt à moitié plein», a-t-elle mentionné.

«Ce qui me désole, cependant, ce n’est pas tant les athlètes eux-mêmes, que l’offre de produits dopants, qui est beaucoup plus grande qu’il y a 40 ans — c’est quand même incroyable! Tout ce qui se trouve sur Internet, c’est tellement facile que c’en est désespérant. L’offre dopante est malheureusement tellement forte aujourd’hui, que ça vient contre-balancer les efforts qui sont faits», a-t-elle expliqué.

Un autre facteur qui pourrait avoir un impact immense dans la lutte au dopage sportif au cours des prochaines décennies est l’intelligence artificielle. Un couteau à double tranchant, selon Ayotte.

«Je ne suis pas une spécialiste de l’intelligence artificielle. Ça peut être un développement technologique intéressant, mais ça ne fait pas de tri, ou de discernement, dans l’information, a-t-elle évoqué. Comment maintenant ça peut être utilisé afin de détourner les façons de rejoindre les athlètes, de déjouer les tests antidopage? Ça reste à voir. (…) Il pourrait donc y avoir des dérives, mais moi je vois le côté positif que ça peut nous apporter — à condition, bien sûr, que ce soit bien encadré, notamment par une réglementation claire.»

Cette bataille incombera cependant aux nouvelles générations, «et qui sait, peut-être qu’elles réussiront à amener ça là où on n’a pas réussi».

Dans l’immédiat, toutefois, la Québécoise compte reprendre son souffle et profiter de la vie, après avoir vécu à un rythme effréné depuis plus de trois décennies.

«Ça fait maintenant 35 ans que je suis une femme sérieuse, au travail, appliquée, une chimiste sur deux pattes. J’ai toujours eu un horaire strict, j’ai toujours été débordée, donc mon rêve, pour l’immédiat, c’est d’atteindre la page blanche. Cette page blanche qui va me permettre de me retrouver et de savoir pour ma dernière portion de vie ce que je veux faire. En fin de compte, je suis comme une athlète en fin de carrière», a-t-elle conclu, en s’esclaffant.